Jean-Luc Mélenchon – Scénario critique 2017-06-05T00:58:28+02:00

JEAN-LUC MÉLENCHON, PRÉSIDENT

Scénario idéal
Scénario critique

Le bilan en demi-teinte de l’harmonisation du travail

Publié le vendredi 8 octobre 2022

Edition spéciale Le Fougaro
Par Anna Kraneine

« Le fond du problème est, Monsieur Marne, que comme aurait pu le laisser présager la formule de votre gouvernement « Travailler moins pour travailler tous », vous vous attachez à une vision quantitative du travail sans prendre en compte les enjeux, pour tous, de sa dimension qualitative. » C’est sur ces paroles de Baptiste Lautréamont, initiateur et porte-parole du mouvement des Nuits Blanches que s’est ouvert hier soir le débat télévisé qui l’a opposé à Robert Marne, Ministre de l’Harmonisation et administrateur général des Bureaux du Temps (BdT).

Avant de faire un point sur l’action menée par le mouvement des Nuits Blanches, dans le cadre duquel 50 000 Français se rassemblent chaque soir Place Vendôme depuis bientôt un mois, revenons sur l’impact du programme “d’harmonisation et de synchronisation des temps sociaux”(1)Extrapolation de la Proposition n°28 : Harmoniser les temps sociaux (par jour/semaine/année/vie) : installer des bureaux du temps ayant pour mission l’évaluation de la synchronie des temps sociaux constatés (concordance entre les horaires de travail et de garde d’enfant, par exemple), l’aide à la formulation des demandes pour l’organisation de la réduction des temps de transport emploi-domicile et de bourse d’échange d’emplois : https://laec.fr/section/28/reduire-le-temps-de-travail-travailler-moins-pour-travailler-tous, mis en place par le gouvernement du Président Mélenchon.

D’abord accueillie avec enthousiasme, la création des BdT, ces offices étatiques chargés de mener à bien le programme en question, a en effet rapidement montré ses effets positifs sur les plans économiques et sociaux. En témoignent la baisse du chômage, le recul des maladies cardio-vasculaires liées au stress en entreprise, la raréfaction des abus de congés maladie et de l’absentéisme, la création de lien social constaté, la multiplication des offres d’activités culturelles et sportives à l’attention des salariés. On ne peut que se réjouir de ce temps « libre » que sont parvenus à dégager les BdT, dédié à l’épanouissement personnel des actifs français. Temps « libre », mais l’est-il vraiment ? À entendre les réclamations de M. Lautréamont, dont la voix s’ajoute à celles de plusieurs confédérations syndicales, les différentes temporalités de la vie du salarié – transport, travail, loisirs, sommeil et vie sociale – semblent avoir gagné en synchronisation et en harmonisation ce qu’elles ont perdu en liberté et en flexibilité. Alors qu’en est-il si notre regard se porte au-delà des statistiques ?

L’essor de l’industrie des loisirs extra-salariaux

Premier fait notable depuis la mise en place du Bureau du Temps, les activités extra-salariales prennent une place bien plus importante dans la vie des Français. Sport, activités culturelles, artistiques ou associatives, il est clair que les Français ne sont pas en manque d’idées pour occuper le temps dégagé dans leur emploi du temps depuis la prise en compte, sur le plan professionnel, de leur vie personnelle et familiale. En témoignent les résultats de la France aux Jeux Olympiques de 2020 : pas moins de trois médailles remportées par la France par de simples amateurs, heureux d’avoir pu consacrer tout leur temps libre à l’escrime, la natation ou le judo.

S’ensuit l’émergence de toute une gamme de nouvelles activités à destination de ces salariés plus disponibles, notamment sur le modèle des Smartbox et du AirBnB des loisirs. Un indéniable moteur pour l’innovation et l’entrepreneuriat donc, et un véritable vent frais sur le marché du travail pour tous les nouveaux acteurs de cette industrie des loisirs extra-salariaux. C’est aussi l’occasion pour certains de renouer avec l’artisanat traditionnel, comme nous l’explique Margot, cofondatrice de Meubledart-dare.fr, une entreprise de Do it yourself par e-learning spécialisée en ébénisterie : “J’aime à nous définir comme créateurs de lien social. C’est formidable de voir que nos apprenants, souvent de simples curieux, développent une vraie passion pour la création de meubles originaux et personnels, et que cette passion les pousse à échanger, souvent à se rencontrer IRL (NDLR : dans le monde réel) pour discuter. L’ébénisterie est un art noble, qui demande de prendre le temps, le temps d’apprendre et de faire, et je pense qu’il reflète l’envie qu’ont beaucoup de Français à notre époque de développer des rapports plus profonds aux choses et aux gens.

La fuite des entrepreneurs hyperactifs

Mais ce dynamisme nouveau semble agir en vases communicants avec tout un autre pan non négligeable de l’économie. Tous ceux qui, il y a quelques années, constituaient les forces vives de l’innovation privée en France, désireux de s’épanouir dans le travail intensif et certainement motivés par l’espoir de réussir financièrement et d’obtenir une reconnaissance sociale, semblent pâtir de ces nouveaux rythmes de travail.

Et ce n’est pas un cas isolé, en effet notre voisin britannique, depuis sa sortie de l’Europe et la prise d’indépendance de l’Écosse, multiplie les appels du pied aux créateurs d’entreprises attirés par le modèle néo-libéral et mondialiste anglo-saxon.

Les nouveaux outils et acteurs de l’harmonisation-synchronisation des temps sociaux (HSTS)

A contrepied de cette désertion du territoire français, certains entrepreneurs font fi de l’inertie de développement économique et saisissent l’opportunité de surfer sur la vague de l’harmonisation-synchronisation. C’est le cas de Bertrand Florige, CEO d’Harmony, une application destinée à aider les salariés à optimiser au mieux leur agenda pour que leurs rythmes soient conformes aux préconisations formulées par les BdT.

Capture d’écran d’une publicité sur Facebook pour l’application Harmony

On note aussi l’émergence d’un nouveau type d’auto-entrepreneurs, les BdT Synchronizers, qui se mettent à leur compte pour accompagner les salariés insatisfaits du suivi prodigué par leur entreprise. Yvan, BdT synchronizer depuis deux ans, nous explique sa vision de la profession : “Mon boulot, c’est d’être là pour ceux qui ne s’y retrouvent pas dans la prise en charge de leurs emplois du temps par les synchronistes (NDLR : anciennement responsables des ressources humaines) d’entreprise. J’effectue la plupart de mes missions pour des salariés qui ressentent une forte culpabilité, parce qu’ils ne se sentent pas bien intégrés dans ce nouveau modèle de société. Ceux qui par exemple n’ont pas d’affinités particulières pour le sport, les activités culturelles, ou n’ayant pas de famille, et qu’on pousse à s’épanouir à l’extérieur du monde du travail. Je participe à la régulation de la montée du bore out, ce mal de l’ennui au travail, chez ces personnes, principalement quarantenaires, qui ressentent une profonde baisse dans l’estime d’eux-mêmes.

Charte de l’accompagnement du salarié, dans l’esprit des principes communiqués par les BdT

Recul du burn-out, montée du bore-out

Ce mal de l’ennui, dont parle Yvan, semble être l’un de ces nouveaux – du moins nouvellement grandissant – maux du travail à ne pas sous-estimer. Les derniers chiffres de l’audit des conditions de travail parlent d’eux-mêmes : il ressort que 38% des employés des entreprises françaises de plus de 50 salariés souffrent de bore-out(2)Bore-out, ou syndrome de l’épuisement par l’ennui : https://fr.wikipedia.org/wiki/Syndrome_d%27%C3%A9puisement_professionnel_par_l%27ennui. Fait assez ironique, quand on sait qu’un des objectifs initiaux du gouvernement était de combattre le burn-out, déclaré maladie professionnelle du siècle(3)Extrapolation de la Proposition n°70 : Reconnaître le burn-out comme maladie professionnelle, lutter contre l’idéologie managériale et ses effets psychologiques et sanitaires et imposer l’enseignement des sciences sociales et des risques psychosociaux dans les cursus de gestion/commerce/ressources humaines https://laec.fr/section/70/en-finir-avec-la-souffrance-sociale-et-la-souffrance-au-travail et qui a effectivement connu un recul très significatif. D’où vient la montée de ce syndrôme d’épuisement professionnel ?

La sociologue Marie-Anne Pannou évoque la déresponsabilisation du salarié : “Le problème selon moi, c’est le paradoxe d’une politique salariale qui prône la responsabilisation, mais se met en place dans le sens de la déresponsabilisation. Les employés sont plus guidés que conseillés, et ils se sentent surveillés dans l’organisation de leurs emplois du temps. On peut aussi évoquer, en toile de fond, la nouvelle norme tacite de l’épanouissement extra-professionnel, qui peut se révéler très déstabilisante pour ceux qui peinent à désaffilier l’estime de soi aux valeurs du travail et qu’on pousse à se réharmoniser. S’ils sont mal pris en charge, leur intérêt pour leur travail et le sens qui s’y rattache s’effrite alors peu à peu. Les temps sociaux du salarié ne sont pas à considérer comme un simple puzzle d’activités qu’il convient de résoudre, c’est un ensemble délicat et fragile qui touche à l’équilibre de l’être et qu’il convient de manier avec précaution.

Exemple d’ordonnance, prescrite par une synchroniste à destination d’un salarié en pré-burn-out

La progression des mouvements virilistes

Autre phénomène notable et qui ne manquera pas d’interpeller les sociologues : l’ampleur que semble prendre depuis quelque temps sur les réseaux sociaux le mouvement des virilistes. Qui sont-ils, ces hommes qui voient dans la mise en application de la loi de lutte contre le sexisme(4)Extrapolation de la Proposition n°6 : Adopter une loi de lutte contre le sexisme : https://laec.fr/section/6/une-republique-universelle un danger pour leur virilité, et tirent parti de leur temps de vie reconquis pour organiser la résistance contre une nouvelle “égalité des sexes” dans laquelle ils ne se retrouvent pas ? Afin de mieux comprendre l’objet de leurs revendications et de leur mal-être, nous sommes allés à la rencontre de Martin, qui participe à un stage de réflexion sur la masculinisation dans la Drôme.

Bonjour Martin, pouvez-vous nous décrire ce que vous venez chercher dans ce type de stage et ce qu’il s’y passe ?
M : Je me sentais perdu et ça fait du bien de passer du temps avec d’autres hommes qui se posent comme moi des questions, qui se sentent dévalorisés. C’est dur de voir que les femmes prennent notre place dans le travail, et on a du mal à se positionner par rapport à ça. Ce stage nous permet de nous retrouver, de reconstruire notre masculinité. On assiste à des conférences sur le sexage, on fait des ateliers et des jeux de rôles, des épreuves physiques… C’est vraiment libérateur.

Vous ne pensez donc pas que la loi de lutte contre le sexisme soit une avancée pour notre société ? Je rappelle pour ceux qui nous liront que ces mesures ont permis de faire passer les écarts de salaires de 30% à 0,5% en moyenne, que la tendance du « manterrupting« (5)http://abonnes.lemonde.fr/societe/article/2017/03/02/manterrupting-sexisme-sur-la-voix-publique_5088231_3224.html a reculé de 40%, que les femmes ne peuvent plus êtres licenciées lorsqu’elles portent plainte pour harcèlement sexuel, et qu’elles sont poussées en interne vers les postes à haute responsabilité.
M : Si, bien sûr c’est une bonne chose. Mais le problème c’est qu’on ne tient pas compte des conséquences psychologiques pour nous les hommes, et puis je trouve que ça pose des questions par rapport au fonctionnement de la famille… Par exemple, depuis qu’elle est membre de son comité de direction, ma femme ne peut plus aller chercher notre fille à son cours de danse le jeudi soir, bref ça pose plusieurs problèmes dans notre vie de famille.

Nuits Blanches sur fond rouge : un sacrifice sur l’autel de l’harmonisation-synchronisation des temps sociaux (HSTS) ?

Venons-en au sujet le plus tapageur de l’actualité : quel bilan pour les Nuits Blanches, mouvement décrit hier par son porte-parole Baptiste Lautréamont comme “la révolte bien-fondée et nécessaire des réformés du management”, un mois après son lancement ?

Constitué majoritairement des patrons et des managers d’hier, confrontés au bouleversement de leur statut et de leurs pratiques depuis le crépuscule des idéologies managériales(6)Extrapolation de la Proposition n°70 : Reconnaître le burn-out comme maladie professionnelle, lutter contre l’idéologie managériale et ses effets psychologiques et sanitaires et imposer l’enseignement des sciences sociales et des risques psychosociaux dans les cursus de gestion/commerce/ressources humaines https://laec.fr/section/70/en-finir-avec-la-souffrance-sociale-et-la-souffrance-au-travail, ainsi que de regroupements de RH et DRH déboussolés et de jeunes diplômés d’écoles de commerce et de management, le mouvement des Nuits Blanches a fait part hier à l’antenne de plusieurs de ses revendications. Voici un extrait de l’intervention de M. Lautréamont :

Nous sommes plus de 50 000 personnes à nous rassembler pour faire entendre notre désaccord, chaque soir depuis quatre semaines, avec les profonds changements économiques et sociaux qui ont été opérés par le gouvernement. […] Notre volonté, c’est que ce gouvernement prenne ses responsabilités et regarde en face les conséquences directes de sa politique d’HSTS. Car c’est une véritable chasse aux sorcières qui s’opère dans notre profession, et ça, on ne peut pas le laisser passer. Nos vies ont été complètement bouleversées par la nouvelle Charte de l’accompagnement applicable en entreprise, qui plus est de manière brutale. Car oui, c’est une brutalité que d’engager les managers et dirigeants dans des séminaires de “recalibrage de la méthode de management”, sous peine d’être démis de leurs fonctions. […] Et que se passe-t-il pour ceux qui n’adhèrent pas, ou peinent à remanier parfois 40 ans d’expérience à un poste de direction ? Ils sont licenciés, ou doivent faire face à la décrédibilisation totale de leurs compétences devant des salariés qui ne respectent plus leur autorité. Notre économie encourt une perte de performance drastique et un déclin des élites qui participent de sa puissance et de la fierté nationale. Main dans la main avec le regroupement des DRH de France et les bureaux des écoles de management – dont les jeunes à peine diplômés sont contraints de se réorienter – nous réclamons la création d’un Bureau de la rationalisation de l’harmonisation du temps de travail. Une instance qui nous permettra d’instaurer un dialogue permanent avec les BdT, et de limiter les conséquences désastreuses du programme du gouvernement.

Espérons donc que les managers d’hier, accompagnateurs d’aujourd’hui, sauront trouver ou creuser leur place dans ce nouveau système, encore dysharmonieux sur bien des plans.

Tract distribué pendant la manifestation du mouvement des Nuits Blanches – 7 octobre 2022

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References

References
1 Extrapolation de la Proposition n°28 : Harmoniser les temps sociaux (par jour/semaine/année/vie) : installer des bureaux du temps ayant pour mission l’évaluation de la synchronie des temps sociaux constatés (concordance entre les horaires de travail et de garde d’enfant, par exemple), l’aide à la formulation des demandes pour l’organisation de la réduction des temps de transport emploi-domicile et de bourse d’échange d’emplois : https://laec.fr/section/28/reduire-le-temps-de-travail-travailler-moins-pour-travailler-tous
2 Bore-out, ou syndrome de l’épuisement par l’ennui : https://fr.wikipedia.org/wiki/Syndrome_d%27%C3%A9puisement_professionnel_par_l%27ennui
3 Extrapolation de la Proposition n°70 : Reconnaître le burn-out comme maladie professionnelle, lutter contre l’idéologie managériale et ses effets psychologiques et sanitaires et imposer l’enseignement des sciences sociales et des risques psychosociaux dans les cursus de gestion/commerce/ressources humaines https://laec.fr/section/70/en-finir-avec-la-souffrance-sociale-et-la-souffrance-au-travail
4 Extrapolation de la Proposition n°6 : Adopter une loi de lutte contre le sexisme : https://laec.fr/section/6/une-republique-universelle
5 http://abonnes.lemonde.fr/societe/article/2017/03/02/manterrupting-sexisme-sur-la-voix-publique_5088231_3224.html
6 Extrapolation de la Proposition n°70 : Reconnaître le burn-out comme maladie professionnelle, lutter contre l’idéologie managériale et ses effets psychologiques et sanitaires et imposer l’enseignement des sciences sociales et des risques psychosociaux dans les cursus de gestion/commerce/ressources humaines https://laec.fr/section/70/en-finir-avec-la-souffrance-sociale-et-la-souffrance-au-travail
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